Françoise BONNEROT
Françoise BONNEROT

A propos de Mémoire-Miroir

 

Réel questionnement sur l'image et son aura¹, cette série évolutive se présente sous formats de15x15 cm. Elle comporte des sous-séries organisées par thèmes (Extérieurs, Intérieurs, Animaux, Objets) mais peut également s'envisager comme un puzzle fonctionnant par correspondances plastiques et résonances poétiques. Toutes les images sont réalisées à partir de prises de vues de mon environnement proche.

Les photographies, retouchées ou non numériquement sont repeintes au verso puis transférées sur miroir, créant ainsi une dialectique entre l'image, son référent et l'observateur, et entre les images elles-mêmes. Le résultat se situe entre empreinte du réel et artifice de l'image, entre surface et profondeur, réelle et suggérée...

 

Les sous-séries composant Mémoire-Miroir s'inscrivent pour la plupart dans la tradition classique des genres, s'adressant en ce sens à la mémoire collective, un déjà vu volontaire, qui se voudrait confortable pour l'observateur. Mais il est également question de mémoire individuelle, me situant moi-même dans une tradition familiale, avec un grand-père peintre et un père photographe amateur...La question du beau était au centre de leurs préoccupations, formatant mon regard d'enfant. Plus qu'un retour aux sources, il s'agit en fait pour moi de revisiter cet aspect, son impact sur le regardeur et de questionner sa contemporanéité.

Chaque image produite procède à la fois d'une technique la rendant reproductible (la photographie), tandis que le geste pictural qui lui confère une unicité, s'inscrivant ainsi dans une acception classique de la notion même d’œuvre d'art. Tradition à nouveau, mais détournant le statut cultuel de l’œuvre dans le rituel que je mets en place ².

 

Le choix d'un environnement proche, quotidien, sans valeur intrinsèque se veut à l'opposé de tout spectaculaire; c'est un travail intimiste, qui se nourrit de peu. La série des Germes me semble exemplaire de cette volonté. J'y photographie entre autres des pommes de terre, oubliées dans un coin, qui se ratatinent tout en germant. Non événement, situation banale, que chacun a pu connaître sans y porter particulièrement attention, ressentant au plus un dégoût ou une déception en se voyant dans l'obligation de jeter le légume devenu inconsommable. J'y vois pour ma part un objet dépossédé de sa fonction, mais qui, voué au pourrissement et à la disparition, se met néanmoins à renaître. La prise de vue photographique fixe cet instant, ce «hors temps de la mort» 3. Le fait de traiter cette image dans une volonté esthétisante affirmée me semble un moyen de permettre au spectateur de voir du beau là où il ne s'y attend pas. Non pas que j'ai la prétention de juger mes images comme belles. Mais je crois juste que l'aspect rassurant d'une mise en œuvre à priori classique peut amener le spectateur à prendre plaisir à regarder l'image d'une pomme de terre pourrie, tout en restant incertain sur le sens et l'utilité d'une telle image.

La technique mise au point sème le doute quant au réalisme de l'image: outre la coupe spatio-temporelle inhérente à la prise de vue photographique, c'est le geste du peintre et la matière picturale qui se trouvent fixés, immobilisés, entre l'image photographique et le support-miroir. S'agit-il d'une photographie, d'une peinture, d'une mise en scène ou d'une réalité vécue? Quel espace, quelle matérialité, quelle réalité y a-t-il derrière ces subterfuges? Que peut-on ressentir face à l'impénétrabilité de l'image?

La série Extérieurs interroge ce rapport au réel, à notre environnement. La promenade a eu lieu, mais l'artifice technique en a changé le contexte. La série Intérieurs renvoie quant à elle à l'espace privé, intime, habité. La lumière joue un rôle prépondérant, fixant le moment, tout en le rendant intemporel. Le pan4 de la surface veloutée bloque le regard mais le miroir renvoie la lumière réelle et réfléchit imperceptiblement l'image, lui donnant de la profondeur. L'image se veut familière, dans une proximité au lieu qui permet à chacun de s'y projeter, mais reste absente de vie.

Enfin, une série traite du monde animal. Je n'aurais jamais songé faire un jour des photographies de chevaux ou de taureaux. Mais ils sont là, autour de moi. Gros plan en zoom sur l'animalité au regard insondable, instant brièvement échangé, barrières et barbelés, abîme... Il est alors question de l'impossible partage du monde, de la distance inévitable d'avec toute chose.

 

Effet miroir.

 

Françoise Bonnerot, le 02/11/2013

 

 

 

 

¹ «l'unique apparition d'un lointain si proche soit-il», Walter Benjamin, La photographie à l'époque de sa reproductibilité technique, 1935, note 1 p.22, Éditions Allia

 

² «la valeur unique de l’œuvre d'art «authentique» se fonde sur ce rituel qui fut sa valeur d'usage originelle et première», Walter Benjamin, La photographie à l'époque de sa reproductibilité technique, 1935, p.23, Éditions Allia

 

3 Philippe Dubois, «Le coup de la coupe», L'acte photographique,1990, p.162, Éditions Nathan

 

4 À propos du «petit pan de mur jaune» de Proust: «La couleur de Vermeer s'apparente à une matière vibrante de vie. Cette "précieuse matière" du petit pan de mur jaune est en effet un exemple de peinture tonale, où deux aspects antinomiques sont convoqués : la dimension matérielle de la couleur (la pâte, les couches) et le fait que la lumière semble venir de l'intérieur de la peinture pour se dévoiler à l'extérieur [...] la peinture tonale de Vermeer se fait par couches successives, où la matière chromatique se confond avec les rayons lumineux qui y sont emprisonnés», Davide Vago, publication à venir, http://lintermede.com/dossier-couleurs-marcel-proust-analyse-recherche.php

 

 

 

 

 

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