Françoise BONNEROT
Françoise BONNEROT

Dans la pièce sur l'avant, où Austerlitz m'introduisit tout d'abord, en dehors d'une ottomane passée de mode qui me sembla étrangement longue, comme rallongée, il y avait seulement une grande table également peinte en gris mat, sur laquelle étaient étalées sur plusieurs rangées, à égale distance les unes des autres, quelques dizaines de photographies, la plupart déjà anciennes et fripées sur les bords. Certaines, dirai-je, m'étaient déjà connues, des clichés représentant des contrées désertes de Belgique, des stations et des viaducs de métro à Paris, la palmeraie du Jardin des plantes, différents papillons et insectes nocturnes, des pigeonniers de belle architecture, Gerald Fitzpatrick sur le terrain d'aviation à côté de Quy et toute une série de plans rapprochés représentant des portes massives et de lourds portails. Austerlitz me dit qu'il restait parfois des heures devant ces photographies, ou d'autres extraites de son fonds, qu'il étalait face en bas, comme pour une réussite, et qu'ensuite, chaque fois étonné par ce qu'il découvrait, il les retournait une à une, tantôt les déplaçait, les superposait selon un ordre dicté par un air de famille, tantôt les retirait du jeu jusqu'à ce qu'il ne reste plus que la surface grise de la table ou bien qu'il soit contraint, épuisé par son travail de réflexion et de mémoire, de s'allonger sur l'ottomane. Il n'est pas rare que j'y reste jusqu'au soir et je sens le temps se replier en moi, dit Austerltiz en passant dans l'une des deux pièces du rez-de-chaussée.

 

 

W. G. Sebald Austerlitz 2001

 

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© Francoise Bonnerot